Obésité et sexualité
- Liam DESROZIERS-GAILLARD
- 20 mars
- 3 min de lecture
Le 4 mars, c’était la journée mondiale de la lutte contre l’obésité. En tant que bon sexothérapeute qui se tient au courant des nouvelles dans la pratique, je suis abonné à une newsletter dont je tairais le nom – car tirer dans les pattes des collègues ne fait pas partie de ma philosophie – et j’ai été curieux de voir ce que nos praticiens sexologues avaient à dire sur le lien entre obésité et sexualité.
(Car bien sûr, au même titre que les personnes handicapées, les personnes grosses subissent soit du fétichisme, soit sont totalement asexualisées. On en parlera plus tard.)
Je n’ai pas été déçu du voyage.
Tout d’abord, ce qui est frappant, c’est la surmédicalisation de l’obésité : on vous parle de corps, on vous parle de cœur, de diabète, de cholestérol, de cancer, d’hypertension, de graisse… on voit l’obésité avant de voir les gens, et ça, ça me dérange dans une profession qui est supposée se montrer avant tout humaine. Lorsqu’on met en avant une pathologie jusqu’à faire disparaître la personne qui la porte, ça s’appelle de la déshumanisation et c’est quelque chose qui est tradition dans le corps médical.
Dans cet article sont mis en avant les problèmes physiques liés au sexe chez les personnes obèses : on y parle de la graisse pelvienne qui vient « [absorber] la base du pénis » et rend la pénétration difficile, de la graisse chez les femmes qui rend certaines positions sexuelles compliquées à atteindre et ces problèmes finissent par causer des troubles du désir sexuel chez ces personnes parfois jusqu’à évitement de la sexualité, surtout chez les femmes.
C’est un postulat qui implique que les personnes obèses sont d’abord en obésité, puis font face aux problématiques susnommées pendant les rapports, et enfin finissent par développer des troubles suite aux difficultés éprouvées. Le problème avec cette logique, c'est qu'elle n'est pas foncièrement erronée et convainc facilement toute personne qui y serait exposée.
Ça place l’obésité comme facteur déclenchant voire responsabilisant pour les patients et ça omet un facteur plus grand encore : la grossophobie.
La grossophobie, c’est la discrimination des personnes grosses en société. Ça s’exprime de pleins de manières différentes, notamment via la déshumanisation dont fait preuve le corps médical à tout remettre sur le poids, plutôt qu’à considérer le ou la patiente comme un tout.
Dans un contexte sexuel et intime, on voit deux phénomènes s’installer :
La fétichisation de la personne grosse
La fétichisation, c’est le fait d’érotiser sur la base d’un critère physique. La principale différence entre fétichisation et préférence physique, c’est que la fétichisation rapporte tout au corps dans le fait d’exciter sexuellement en occultant complètement la personne qui se trouve derrière. La fétichisation déshumanise donc totalement et réduit la personne grosse à l’état de fantasme, d’objet sexuel que l’on consomme, mais pas que l’on aime.
Beaucoup de femmes grosses hétérosexuelles souffrent de fétichisation dès le plus jeune âge, et sont souvent confrontées à l’idée que leur seule manière de pouvoir être désirées par les hommes est leur sur-sexualisation.
L’asexualisation de l’homme gros
L’asexualisation est aussi une forme de déshumanisation. C’est un phénomène qui touche également les personnes en situation de handicap, et qui implique de ne pas voir ces personnes comme sexuellement actives, ou ayant des besoins d’intimité et de sexualité. C'est un biais qui touche beaucoup plus les hommes : parce que ces hommes sont gros, ces derniers ne sont pas perçus comme sexués et donc leurs besoins relationnels, d’intimité, de relations sexuelles sont totalement passés sous silence. Ces derniers peuvent souffrir d'extrême solitude.
Ces deux phénomènes résultent souvent par le développement d’une hypersexualité – majoritairement chez la femme – pas tout le temps consciente et/ou saine, qui entache davantage son rapport au corps et l’estime qu’elle a d’elle-même, troubles du comportement alimentaire dans le but de perdre un maximum de poids afin d’échapper au carcan de la grosseur, solitude, dépressions, idées suicidaires...
Ne pas prendre en compte le facteur de la grossophobie dans les enjeux sexuels auxquels font face les personnes obèses, c’est simpliste, et c’est oublier le facteur humain et social qui pèse sur ces patients. Il est important de ne pas succomber aux biais qui incombent à notre pratique afin d'offrir à nos patients la meilleure des prises en charge.
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